Article complémentaire: « À qui s’adresse le Crossfit? »
Depuis les dernières années, le Crossfit est en pleine expansion. Ce phénomène de mode attire de plus en plus d’adeptes toutefois, plusieurs facteurs font en sorte que le Crossfit peut être un entraînement dangereux.
1- Privilégier la quantité à la qualité d’exécution des mouvements
Dans l’entraînement, soulever trop lourd et rapidement vous amène souvent à détériorer votre technique et à compenser dans vos mouvements. Dès lors, n’importe quel entraîneur vous dira que s’entraîner avec une mauvaise technique est dangereux.
En effet, dans le Crossfit, tout est mis en place pour favoriser la compétition et le dépassement de soi : l’existence des personal best (PB), les charges d’entraînement recommandées (Rx), les circuits chronométrés, etc. Bien qu’en théorie cette manière d’établir des objectifs soit fantastique, le danger de tous ces paramètres, c’est d’altérer la forme du mouvement et de compromettre la mécanique de ses gestes et de trop focaliser sur le nombre de répétitions à atteindre et la charge à soulever. Ceci est amplifié par le fait que vous faites une quantité absurde de différents mouvements et d’exercices sur une base entièrement sporadique et dans un environnement ultra-compétitif.
Dans un gym traditionnel, avec mon expérience, il ne se passe pas une seule journée sans que je vois des gens faire des mouvements de musculation « tout croches ». Et on ne parle ici que d’exercices de base ou sur machines… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai crée mes VIDÉOS. Je peine donc à imaginer comment ça peut bien se dérouler en Crossfit, en y ajoutant en plus la notion de circuits d’entraînement chronométrés sans pauses et où on y enchaîne des exercices complexes comme de l’haltérophilie, des anneaux, le squat ou le deadlift…! On l’a tous remarqué à un moment ou à un autre: quelqu’un qui tente d’y aller aussi lourd que possible, archant le dos vers l’arrière pour faire ses biceps, faisant les mouvements à moitié ou balançant son dos comme en pendule dans l’exercice du lat pull down, par exemple. Je préfère donc que mes clients soient moins concernés par les chiffres et la quantité à atteindre dans l’entraînement et davantage sur la qualité. Autrement dit, soulever un poids un peu plus léger avec une forme parfaite va souvent vous donner plus de bénéfices que de soulever un poids trop lourd de mauvaise façon.
2- Le choix des exercices
Pour la vaste majorité des participants qui débutent l’entraînement (ie le public général, pas les athlètes), les mouvements olympiques et la pliométrie sont un terrible choix. Ils sont exactement à l’opposé de ce que la plupart des gens devraient faire: des exercices lents et contrôlés avec une bonne technique, pour un développement de la force en toute sécurité. Pour moi, il y a quelque chose d’extrêmement crucial dans le développement du contrôle moteur et l’acquisition de patrons de mouvements. En clair, il est absolument essentiel de maîtriser un exercice facile avant de passer à un exercice plus difficile.
Le Crossfit est largement composé de mouvements balistiques, des mouvements rapides qui peuvent être durs sur les articulations. Les blessures les plus fréquentes en Crossfit sont des blessures à l’épaules, lesquelles résultent principalement des mouvements des bras au-dessus de la tête (overhead press) telles que l’arraché, le jeté, l’overhead squat, le handstand pushup, etc. Cependant, je ne vois pas en quoi ils sont fonctionnels et représentent les mouvements de la vie quotidienne que la plupart des gens devraient faire…!? D‘ailleurs, la majorité possède trop peu de flexibilité, de stabilité et de contrôle postural au départ pour effectuer ces mouvements. Ils n’ont même pas l’expérience de stabiliser et de contrôler une charge légère au-dessus de la tête en faisant un développé des épaules assis et on va leur donner de l’haltéro…?!? De plus, plusieurs de mes clients qui débutent l’entraînement sont des travailleurs de bureau; ils sont donc penchés par en avant toute la journée, et ce déficit postural implique souvent, à long terme, une élévation et un enroulement de l’épaule et une bascule antérieure et une protaction des omoplates; sans compter un manque de force général au niveau du dos et du tronc. Ce qui rend ainsi ces choix encore plus désastreux.
L’exemple du kipping pull-up:
Il y a quelques exercices dans le Crossfit qui me font grincer des dents. Outre les abdos, le « kipping » pull-up est un autre exemple d’exercice qui soulève des questions. Il s’agit en fait d’une variation forcée du pull-up traditionnel, dont le but est généralement de développer la force postérieure du haut du corps et la stabilité. Ce mouvement de « kipping » s’effectue avec un puissant balancement des hanches, un coup de pied explosif et une forte traction des bras dans le but de créer un momentum suffisant afin d’amener son menton au dessus de la barre. Pour un débutant, c’est plutôt une bonne façon de causer une friction sur l’articulation gléno-humérale, sans compter lorsqu’on l’effectue en hautes répétitions et dans un état de fatigue comme en Crossfit.
Bien qu’en théorie on pourrait affirmer qu’il s’agit d’un bon exercice pour développer sa puissance et sa force explosive, n’importe quelle variation de pull-up (et avec un momentum pas si grand) apporterait plus de bénéfices généraux. De plus, ce n’est spécifique à aucun sport, sauf peut-être la gymnastique et l’alpinisme/escalade. Le danger est que les gens n’ayant pas la force d’accomplir des tractions à la barre ou pull-up vont souvent contourner le processus de du gain de force de façon stricte et apprendre le kipping avant, ce qui vient encore accroitre le potentiel de risque de blessures. Plus particulièrement des blessures de surusage et de déchirures à l’articuliation de l’épaule, notamment de la coiffe des rotateurs, du labrum voire du chef long du triceps.
Solution:
Il y a probablement un temps et un lieu où le kipping pull-up peut être utilisé, mais ce moment n’est certainement pas à l’intérieur des premiers mois d’entraînement Crossfit. Les pull-ups exécutés de façon stricte (souvent assistés) devraient être la norme pour renforcer l’épaule et il faudrait être capable d’en faire au moins 6-8 à partir du point mort. Il s’agit seulement de s’adapter et de se donner le temps de progresser.
3- L’entraînement maximal
Un entraînement maximal où les circuits sont chronométrés n’est certainement pas la meilleure façon de commencer à s’entraîner ou de se mettre en forme. Le danger est que les gens soient poussés au-delà de leurs limites, sans compter que ce n’est pas nécessaire pour perdre du poids ou se mettre en forme. L’épuisement et la fatigue ne sont pas toujours synonymes de bons entraînements non plus.
Le but de l’entraînement est d’améliorer les capacités du corps sans lui nuire, et l’objectif principal devrait toujours être la santé à moins que vous vous entraîniez pour quelque chose de très spécifique. La plupart de mes clients s’entraînent pour avoir plus d’énergie, être plus fonctionnels, se sentir mieux, être plus forts et prévenir les blessures. Le Crossfit favorise les entraînements où vous vous poussez au maximum, brûlez des calories, vous entraînez comme un athlète mais promeut-il ces traits? Quel est le but si vous développez une épaule ou une hanche dysfonctionnelle qui limite vos tâches quotidiennes?
À mon avis, vous pouvez aller au gym et faire des squats, deadlifts, overhead presses et autres exercices complexes et fonctionnels sans nécessairement faire les répétitions aussi vite que possible. Vous pouvez même les intégrer à un circuit d’entraînement (non chronométré) ou faire des superséries si vous voulez gagner en endurance, avez un temps limité ou voulez un maximum de résultats en peu de temps. Si vous voulez optimiser votre forme ou votre composition corporelle, je crois que ça peut être bon aussi de faire quelques intervalles de sprints, de la course et même de la marche rapide à l’occasion. Avec l’âge et le stress, les étirements et la relaxation sont aussi à prendre en considération. Néanmoins, il y a probablement un juste milieu entre le fait de prendre de trop longues pauses entre ses séries et d’éliminer virtuellement tout temps de repos.
4- Pas d’accent sur la prévention des blessures
Un des principaux rôles du kinésiologue est de faire la prévention des blessures. Si vous vous entraînez depuis longtemps et voulez vous entraîner toute votre vie, il ne faut pas juste penser à court terme mais aussi à long terme (surtout à partir de 30 ans). Tout d’abord, il faut savoir que plus on lève des charges lourdes, plus le risque de blessures augmente. C’est la simple nature des choses. Le corps voulant être le plus efficace possible, les muscles les plus forts vont toujours prendre le relais avant les plus faibles.
Tout le monde sait que pour améliorer sa condition physique on doit pouvoir sortir de sa zone de confort. Je n’ai rien contre le fait de pousser la machine à l’occasion. Mais il y a toujours une sacré limite aux blessures prévisibles, aux entraîneurs mal qualifiés et à l’entraînement excessif. Dans la performance, il existe une mince ligne entre le fait de pousser son corps et se blesser, et la nature compétitive du Crossfit la réduit encore plus.
Bien sûr, les blessures peuvent survenir dans n’importe quelle activité; même la course et le yoga n’y sont pas à l’abri, mais pour moi, il y a un certain niveau à partir duquel les risquent semblent l’emporter sur les avantages. Et je pense que beaucoup de gens minimisent le risque associé à ces types d’exercices. Ils ne sont pas pour tout le monde. Évidemment, vous pouvez toujours niveler vers le bas, y aller plus lentement et ne pas vous pousser autant durant l’entraînement mais n’est-ce pas la nature et l’essence même du Crossfit que de se pousser à la limite?
5- Pas de plan d’action progressif
Le Crossfit utilise des méthodes et des techniques d’entraînement encore plus avancées que ce que j’utilise normalement en gym conventionnel; tout en s’adressant au même type de clientèle et en ayant des entraîneurs moins bien qualifiés.
Quand je rencontre des gens désirant se mettre en forme et changer leurs habitudes de vie, mon but est toujours de leur faire un programme à leur niveau; ni trop facile, ni trop difficile, qui va leur donner des résultats et les encourager à continuer. En les observant, j’ai tout de suite une idée au départ de la programmation d’exercices que je vais leur donner maintenant et de celle que je vais leur donner plus tard, de même que les étapes entre les deux.
Le Crossfit prétend que la bonne façon de faire des programmes de mise en forme à la population en général est d’utiliser dès le départ des techniques d’entraînement pour athlètes: haltérophilie, pliométrie, intervalles à haute intensité, entraînements à haut volume, etc. Le Crossfit est intéressant par sa diversité certes, mais utilise dès le départ des exercices complexes plutôt qu’en isolation, des exercices enchaînés plutôt qu’avec temps de repos et des exercices demandant dès le départ une bonne coordination et une bonne stabilité articulaire. De plus, les cours d’introduction de 2 ou 4 semaines sont peut-être suffisants pour maîtriser la base de différents mouvements techniques (ex. squats, deadlift) mais certainement insuffisants pour acquérir une base de forme physique ou pour développer sa force avant un entraînement plus intensif. Pour moi, c’est un peu comme l’équivalent de demander à quelqu’un de grimper l’Everest quand il n’a pas l’habitude de grimper le mont Saint-Bruno.
Voici un exemple général et logique de progression que je pourrais donner à un client qui débute l’entraînement, sans brûler d’étape :
Semaine 1-4
Commencer avec des exercices simples, d’isolation ou sur machines dans le but de lui donner de l’expérience en musculation et de lui apprendre à bien se positionner dans ses mouvements afin de bien sentir le travail individuel de chaque muscle ciblé.
Exemple d’exercices: rameur assis, développé pectoraux sur machines, leg press, etc.
Semaine 5-8
Migrer ensuite vers des exercices plus complexes ou faisant davantage appel à sa posture et sa coordination (ex. poids libres) et augmenter les charges et l’intensité de ses entraînements.
Exemple d’exercices: one arm row, développé incliné avec haltères, squats, etc.
Semaine 9-12
Finalement, organiser un entraînement sous forme de circuit et diminuer les temps de repos entres les séries et les exercices pour gagner de l’endurance et brûler davantage de calories.
Exemple d’exercices : mêmes que ceux mentionnés précédemment mais utilisant des supersets ou circuits.
6- Des standards de qualité quasi-inexistants
Un des défis du Crossfit, c’est qu’avec la prolifération des centres affiliés, cela peut devenir difficile de maintenir une bonne qualité de service et un bon coaching. Y a-t-il un contrôle de la qualité? La compagnie établit-elle des normes et des standards sur ce qui se passe dans les centres portant le nom « Crossfit »? Y a-t-il une structure au niveau des connaissances et des compétences que les entraîneurs doivent posséder? Je suis personnellement en désaccord avec le fait d’évaluer les centres et les entraîneurs sur une base individuelle, parce qu’on le veuille ou non, Crossfit est une marque de commerce. Et quand vous installez un environnement qui encourage les gens à pousser leur corps à la limite, vous avez une certaine responsabilité de les protéger. Ce n’est pas la responsabilité du client à assurer sa propre sécurité. Il paie un montant pour et s’attend à ce que cela fasse partie de sa cotisation.
Une mode vous dites?
Regardez ma capture d’écran :
Article complémentaire:
À qui s’adresse le Crossfit?, Janic Lessard Forcier, kinésiologue, B.Sc., 25 novembre 2013.
En complément, sur le kipping pull-up:
All the hype behing kipping pull-ups, Tony Gentilcore.
Kipping pullups? Part 1: Get strong first, Athletic Lab, Cate Young, 26 mai 2012.
Kipping pullups? Part 2: An anatomical review, Athletic Lab, Cate Young, 27 mai 2012.
Kipping pullups? Part 3: A review of training stimulus, Athletic Lab, Cate Young, 28 mai 2012.
Considerations for the kipping pull up, Sayco Performance, 04 octobre 2011.
3 more reasons kipping pullups cause injury, Fitness pain free blog, 12 octobre 2013.